Féminisme

Silence, un homme parle

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« Si vous me permettez, je vais finir, après vous pourrez m’interrompre » – Allégorie de mon propos (R. Enthoven, 13 septembre 2018)

Raphaël Enthoven a été invité à l’Université d’été du féminisme organisé par le Secrétariat à l’égalité entre les hommes et les femmes. Il a produit une longue intervention dont le verbatim (en fait, le texte) est disponible sur son blog, sur mediapart. Comme ce texte me paraît franchement fautif, je produis ici une réponse qui, je l’espère, permettra à celles et ceux qui sont impressionné.e.s par le texte de l’être moins. Je ne réagirai pas à tout et je me concentrerai sur l’attaque à l’endroit de la non-mixité et du terme « concerné ». Le reste me paraît ou bien anecdotique ou bien trop autocentré pour présenter un intérêt.

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Être contre la PMA, la GPA pour de bonnes raisons ?

Le figaro a publié une tribune de Jean-Mathias Sargologos, Sébastien de Crèvecoeur et Jacques Duffourg-Müller, intitulée «En tant qu’homosexuels, il est de notre devoir de prendre position contre la PMA et la GPA». Je crois qu’elle a le mérite d’être argumentée et de présenter une option possible par rapport à la GPA et la PMA. Cependant, elle repose (comme toute prise de parole, là n’est pas la question) sur un certain nombre de présupposés que j’avais bien envie de mettre au jour.

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Des sciences sociales pour faire de la biologie…

J’aimerais dans ce billet m’affronter à l’idée qu’il y aurait des choses « naturelles » dans les organisations sociales humaines. Plus précisément, j’aimerais montrer ce qu’a de problématique l’expression « la domination masculine est naturelle » ou « universelle ». Même si c’était le cas, elle laisse à penser que ce serait un phénomène nécessaire. Or, s’il se peut que les conditions pour qu’elle disparaisse ne soient jamais réunies (soit qu’elles soient impossibles soient qu’on n’arrive pas à les mettre en œuvre), l’assomption en est faite sans qu’on ait bien en tête ce qu’elle implique.
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Réponse – Facebook et la vulgarisation (1/2)

Thème : biologie, darwin et les autres

J’inaugure un type d’article qui consiste en une réponse plus développée à des propos qui m’auront paru faux ou incorrects sur un support qui ne permet pas de développer outre mesure. Produire une réponse plus complète a trois objectifs : développer pour moi-même, et éventuellement pour que mon interlocuteur réponde ; obtenir des critiques ou des questions ; servir de réservoir d’exemples ou de critiques à mes lecteurs.

Je commence avec une réponse à une querelle qui m’a opposé à quelqu’un que je suis (et dont je tairais le nom même si facebook brouille un peu les frontières entre public et privé). Elle portait sur un article publié en ligne dans letemps.ch. J’aimerais d’une part revenir sur la querelle et d’autre part critiquer l’article de vulgarisation qui est globalement une machine à fantasmes, lesquels fantasmes ont été largement brandis par l’instigateur de la querelle. Cela me permettra de montrer à quel point nos attentes sur le genre (et sans doute sur d’autres sujets) peuvent façonner la réception des études scientifiques et combien les journalistes ont une lourde responsabilité en l’espèce.

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Savoir se faire des ennemis

Lors d’un énième échange facebook sur l’écriture inclusive, je me suis demandé si tout ce battage était vraiment justifié et surtout si au fond il n’était pas là pour camoufler des choses plus importantes. En effet, si on excepte les arguments les plus caricaturaux (voir article sur Peggy Sastre) concernant la fin du monde, la novlangue et l’avènement d’une société gouvernée par d’horribles matriarches tueuses d’hommes, l’argument principal tient en celui-ci : à quoi ça sert ? Formulé en général de façon négative plutôt qu’interrogative : « ça ne sert à rien » ; ou positive : « il y a des choses plus importantes ». Cela permet de construire le camp des féministes radicales, déconnectées de la réalité et complètement folles, l’un étant le revers de l’autre : les méchants diront que les féministes sont des dictateurs en puissance ; les gentil.les suggéreront seulement que l’on ferait mieux de s’occuper d’autre chose. Mais au fond : qui a lancé la controverse ? L’écriture inclusive existe depuis des années et les expérimentations langagières depuis bien plus longtemps encore (de Monique Wittig à Olympe de Gouges qui a rectifié la déclaration universelle des droits… de l’homme). Précisons : sans que cela n’ait jamais empêché quiconque d’essayer de faire quelque chose pour les femmes battues, pour dénoncer la culture du viol ou autres problèmes « importants ». En construisant un camp féministe homogène et préoccupé par une seule idée, on rend la revendication (mais qui revendique quoi, au fait?) effectivement extravagante et on oppose les raisonnables aux hystériques (c’est pourquoi nos bateleurs habituels aiment tant les FEMEN, cela leur permet de passer pour des gentils féministes), c’est-à-dire qu’on repeint en féministes des gens qui ne le sont pas, ou qui s’en foutent globalement. Et voilà comment on construit un ennemi : on va chercher un élément de lutte ou de discours qu’on monte complètement en épingle pour en faire le cheval de bataille unique et décontextualisé d’un groupe réifié et on peut ainsi jeter le bébé avec l’eau du bain. Que cet adversaire soit fictif n’a pas d’importance, car on gagne tout de même des galons de féministe raisonnable alors qu’au fond on n’a pas grand chose à dire (coucou Enthoven, coucou Sastre).

Alors une fois pour toute : l’écriture inclusive ce n’est pas une baguette magique, c’est une proposition, parmi beaucoup d’autres car le féminisme a compris depuis longtemps que le politique ne s’arrêtait pas à la loi. Vous n’êtes pas d’accord ? Bah n’écrivez pas en écriture inclusive. Je ne crois pas qu’on vous l’impose de toute façon. Après, vous pouvez argumenter pour montrer que ça ne sert à rien, mais arrêtons de faire comme si le féminisme n’avait que cela à proposer.

Bonus :

Cette grille de lecture peut s’appliquer aussi bien au fameux mot-dièse « balancetonporc » : on peut effectivement discuter de savoir si c’est bien joué de dénoncer des hommes sans procès et en les vouant aux gémonies médiatiques. Bien. Mais le faire en oubliant que la plupart des femmes n’ont pas balancé des noms au hasard et pas balancé tout court, qu’en réalité le mot-dièse est une manière de briser l’omerta (c’est assez visible dans l’affaire Weinstein), en oubliant que parallèlement #metoo est apparu et donc que ce qui est central c’est la visibilité d’une question extrêmement massive et par là-même politique, c’est tenter de réduire le mouvement (qui a ses débordements, oui, certes) à une caricature qui permet ensuite d’enterrer l’affaire et surtout de minorer le phénomène en situant le débat non plus sur un terrain politique mais sur un terrain moral (et donc individuel).

La difficulté c’est que puisque le débat public est polarisé par une question arbitraire (et posée par ceux qui ont la parole et la parole légitime, par exemple : « il faut faire attention à ne pas confondre égalité et identité »), des acteurs par ailleurs sérieux et intéressants peuvent être tentés de prendre position et d’appuyer de leur magistère des positions qui paraissent raisonnables alors qu’elles ont été construites de toute pièce. Ainsi avec la suggestion suivante d’Alain Supiot (que j’aime beaucoup, là n’est pas le problème) citée par un ami facebook :

Cette réduction de l’homme va de pair avec la dynamique du calcul, qui a porté et le capitalisme et la science moderne. C’est sur ce mode que tend à être interprété aujourd’hui le principe d’égalité. L’égalité algébrique autorise l’indifférenciation : si je dis <a = b>, il s’en déduit que partout où se trouve a, je pourrai poser indifféremment b, et que donc <a+b = a+a = b+b>. Appliqué à l’égalité entre les sexes, cela voudrait dire qu’un homme est une femme, et réciproquement. Or l’égalité entre hommes et femmes ne signifie pas que les hommes soient des femmes, même s’ils peuvent en rêver parfois. Le principe d’égalité entre hommes et femmes est l’une des conquêtes les plus précieuses et les plus fragiles de l’Occident. Il ne pourra prendre durablement racine si cette égalité est entendue sur le mode mathématique, c’est-à-dire si l’on traite l’être humain sur un mode purement quantitatif. Toute la difficulté des sociétés modernes est justement de devoir penser et vivre l’égalité sans nier les différences. Cela doit s’entendre des relations aussi bien entre hommes et femmes, qu’entre des hommes ou des femmes de nationalité, de mœurs, de cultures, de religions ou de générations différentes. La marque propre du capitalisme n’est pas la poursuite de la richesse matérielle, mais l’empire de la quantité qu’il fait régner sur la diversité.

Et mes deux réponses (disponible sur facebook, mais je ne cite personne, après tout Facebook n’est pas tout à fait l’espace public) :

Alors, désolé si je suis flou. Je n’attribue pas de brevets de féminisme à Supiot (que j’apprécie beaucoup). Je dis juste que la rhétorique « on oublie que l’égalité c’est pas la négation de la différence » est brandie par exemple par la manif pour tous. Et au fond, je me demande si cet oubli n’existe pas juste dans la tête de ces gens là et de ceux qui sont extérieurs au débat et qui prennent l’argument comme une vraie critique alors qu’il n’est qu’un artifice rhétorique pour discréditer les études de genre (la « théorie du genre » à dire avec des trémolos inquiets dans la voix) et éventuellement le féminisme.
Enfin, qui mieux que le féminisme a travaillé sur les différences hommes/femmes ?!
En tout état de cause, je pense que Supiot se trompe de problème. Je ne crois pas qu’il y ait de confusion entre égalité et différence dans les études de genre ou le féminisme (ou alors de manière marginale). Mais surtout, il reconduit l’idée que la différence homme femme serait une différence essentielle (c’est pour cela que je rapporte ses propos à la manif pour tous) et fondamentale qu’il faudrait à tout prix préserver. Mais dire ça, c’est mélanger pas mal de niveaux, et notamment des niveaux descriptifs et normatifs.

Supiot laisse entendre qu’il faut se rappeler que les hommes et les femmes sont différents (certes, il précise que c’est vrai aussi pour les hommes et les femmes de cultures, de religion… etc différentes mais il prend pour paradigme l’égalité homme/femme) quand on parle d’égalité hommes/femmes. Oui j’en suis d’accord. Mais qui fait autre chose ? C’est pourquoi je rapproche l’argument de Supiot d’un argument qu’on a beaucoup entendu qui consistait à dire que les partisans de la théorie du genre niait les différences entre les hommes et les femmes. Encore une fois, je ne fais pas de procès à Supiot. Je trouve juste que son commentaire n’est pas si intéressant. Sauf s’il veut dire que le mouvement du capitalisme contemporain c’est de rendre les humains interchangeables. Si c’est le cas ok, cela rejoint ses thèses que l’on trouve dans la gouvernance par les nombres. Mais je trouvais la référence à l’homme et à la femme un peu confusante (la preuve : vous prenez l’exemple de l’écriture inclusive) car elle laissait entendre qu’il y aurait des milieux (plus ou moins universitaires dites-vous) qui font le jeu du capitalisme en voulant nier la différence des sexes. C’est peut-être vrai, mais il va falloir être plus précis.

Bref, c’est peu dire que le combat passe aussi par la conquête de la parole et du pouvoir qui lui est attaché : formuler des questions, c’est déjà avoir du pouvoir.

La cuistrerie de Peggy Sastre

Un père et son fils ont un terrible accident de voiture. Le premier meurt sur le coup tandis que le second est entre la vie et la mort. À l’hôpital, on court chercher le médecin urgentiste. Celui-ci, déjà bien occupé, se retourne aux cris de « docteur ! Docteur ! ». Mais ayant vu la victime, horrifié, il est obligé de dire : « je ne peux pas l’opérer, c’est mon fils ».

Comment est-ce possible ?

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Il n’y a pas d’agression sexuelle

Cela arrive parfois, un commentaire facebook est effacé par l’inquisition. Du coup je réagis à un statut vu sur le fil d’un ami et qui ne laisse pas de m’étonner.

Egalitariste

L’article pointé par le statut facebook.

Je précise d’ailleurs que j’avais déjà vu passer cet article et que j’avais déjà réagi. Du coup je vais simplement développer un peu.

Premièrement, je trouve particulièrement obscène le fait de dire que seulement moins de 40% des agressions n’avait pas de caractère sexuel, ça laisse quand même au bas mot 35% des agressions qui SONT sexuelles (surtout quand ensuite on utilise les 1656 plaintes de Pampelune pour montrer que c’est très violent mais qu’il n’y a « que » 4 plaintes pour agression sexuelle). Donc d’un côté on trouve scandaleux qu’il y ait des viols (normal), que les femmes qui disent être violées soient souvent décrédibilisées ou voient leur parole mise en doute ; mais par contre quand il y a plusieurs centaines d’agression sexuelle la même nuit, c’est pas si terrible parce qu’en fait il y en a moins que des vols.

Exemple d’article reblogué par egalitarism

Deuxièmement, on refuse la hiérarchisation des problèmes, et donc on utilise de l’argument de la relativisation : « oui mais regardez, ça se fait ailleurs ». J’en suis d’accord, l’argument remet en général les choses dans leur contexte et fait du bien à tout le monde. Sauf que les exemples sont très mal choisis : à Bayonne la fête dure 4 jours, et on ne sait pas combien il y a d’agressions sexuelles (il y en a, certes) ; à Munich la fête dure 15 jours et on a enregistré 2 plaintes (contre plusieurs centaines à Cologne) ! À Pampelune, la disproportion est là encore patente : 4 agressions sexuelles sur 1656 plaintes soit 0,2% des plaintes (!) contre entre 30 et 40% à Cologne (en cherchant sur différents sites on trouve des chiffres un peu différents). Avec de telles relativisation, on a beau jeu de dénoncer la culture patriarcale universelle qui gangrène notre société. C’est à se demander si la lutte féministe depuis plus d’un siècle a servi à quelque chose puisqu’on en est toujours au même point. On pourrait ajouter qu’à Cologne, les agressions semblent avoir été le résultat d’une intentionnalité collective contrairement à Munich où les faits sont isolés (quoique relevant d’une même logique).

Troisièmement, point le plus discutable, j’en conviens : ce que révèle ce genre d’article c’est l’inconfort des positions essayant de ménager la chèvre et le choux. Celui qui fait l’article veut défendre les migrants, ce qui est tout à fait louable mais ce faisant, alors qu’il combat l’extrême droite (bête immonde qui, telle l’hydre… etc) signale que les agresseurs n’étaient pas des Syriens mais des Marocains et des Algériens installés en Allemagne. J’appelle ça lancer l’idée que même installés, les migrants restent dangereux. L’auteur de l’article, sans doute animé des meilleures intentions du monde, semble mettre entre parenthèse la lutte féministe au profit de la lutte pour les néo-colonisés. C’est ça l’intersectionnalité ? Cacher une oppression pour en mettre une autre en valeur ? On peut bien sûr refuser de commenter les faits divers, ce qui est sans doute une bonne politique, pour prendre un peu de hauteur. Mais dès lors qu’on les commente, je ne vois pas comment on peut s’empêcher de remarquer la singularité de ce fait là, de Cologne ; je ne vois pas comment on peut ne pas parler d’immigration quand il est explicitement dit dans l’article que 95% des agresseurs n’étaient pas Allemands. Il me semble ici que la meilleure des réponses (outre le silence) est précisément de poser honnêtement le problème en se demandant, étant donné qu’il va falloir compter avec ces migrants, ce qui permettra le plus efficacement une intégration rapide. Ni penser que les migrants sont le mal absolu (version extrême-droite) ni que les migrants sont le bien absolu (thèse angélique d’une certaine gauche) mais simplement qu’il y a des conditions pour qu’une immigration soit réussie : et ces conditions sont forcément aussi des conditions matérielles. Cela implique donc de réfléchir sur ce qui cause les départs des migrants, donc d’envisager que l’on paye deux fois certaines interventions militaires, quand on y va et quand ils viennent parce qu’on a tout cassé, mais aussi des conditions d’accueil (coucou Calais). Et ce n’est pas parce qu’on refuse de se poser la question que le problème disparaît. Comme le refoulé, il y a fort à parier que le problème reviendra plus tard, plus fort, quand on en aura oublié la source et qu’il faudra dépenser beaucoup de moyens pour démêler ce qui n’a pas été résolu auparavant.

Le voile rend-il libre ?

Flectere si nequeo Superos, Acheronta movebo

« Si je ne puis fléchir les cieux, je remuerai les enfers », Virgile, Énéide, VII, 312

J.-Joseph Benjamin-Constant (1845-1902) : Odalisque.

Conformément à des conseils donnés dans les commentaires, j’ai essayé d’inclure davantage de liens et de références. L’exercice n’est pas déplaisant : ça permet de faire le cuistre – vous apprécierez.Vous trouverez au cours de l’article des liens sur le sujet, et au début deux liens dirigeant vers légifrance pour savoir à quoi s’en tenir sur les deux lois dont je parle.

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L’égalité empoisonnée

Pour ce premier billet, je ne prétends pas du tout être original, je ne prétends pas du tout non plus ne pas recouper des problématiques qui intéressent déjà des mouvements ou associations féministes, voire les préoccupations du gouvernement actuel. Mais j’aimerais relier d’une façon plus systématique les tentatives pour faire naître l’égalité homme-femme en suggérant que l’on pourrait regrouper deux démarches que l’on disjoint parfois faute de les situer sur un même terrain. Je précise que je n’ai aucune envie de recourir à de gros concepts comme « domination masculine » ou « patriarcat » pour expliquer quoi que ce soit parce qu’ils seraient davantage à expliquer qu’explicatifs. Peut-être ferai-je un billet à ce sujet. Venons-en donc à mon propos :

Il est possible que la question de l’égalité homme-femme soit mal posée dans un certain nombre de cas parce que nous ne prenons pas suffisamment en compte ce que notre société peut produire d’inégalitaire. Nous croyons trop souvent que l’égalité est quelque chose qu’a apporté la modernité et qu’il resterait à se débarrasser de scories iniques héritées d’époques archaïques, peut-être est-ce que nous pensons encore en terme de « progrès » comme le vocable politique (conservateur/progressiste) le laisse à penser. Parallèlement on a peut-être tendance à regarder les époques antérieures comme le royaume de la misogynie et de l’inégalité, en ignorant les plus élémentaires réflexes d’historien ; à ce sujet, indiquons l’ouvrage de Claudine Cohen intitulé La femme des origines. Images de la femme dans la préhistoire occidentale. Mais peut-être que c’est cette introduction même de l’égalité au sein de nos catégories mentales qui a fait surgir les inégalités. Dans une société médiévale, la question de l’égalité homme-femme ne peut pas se poser parce que l’égalité n’est pas une valeur, mais dès lors que nous considérons que l’individu peut se déterminer et devenir, au moins en principe, n’importe qui, on ne saurait interdire un parcours à quelqu’un, du moins a priori, et a fortiori s’il s’agit d’une femme. Mais en même temps que c’est devenu un possible, c’est aussi devenu une prescription. L’idéal d’autonomie s’étant imposé, et le travail étant devenu le passage obligé pour réaliser cette autonomie sans sexe, ces valeurs s’imposent à des individus dont les rôles sont, eux, sexués. Ce qui montre assez que cette autonomie est en réalité une neutralisation (comme lorsqu’on dit « sécularisation ») d’un idéal masculin. Voulant pousser les femmes à occuper des positions conçues pour les hommes, on délaisse d’autres tâches, qui restent à accomplir (s’occuper des enfants par exemple) et puisque les hommes sont déjà occupés à réaliser les attentes de leur sexe, il n’y a guère la place pour les femmes, d’autant plus que le « foyer » est leur place naturelle et non choquante. Mais comme l’autonomie et le travail sont des valeurs neutralisées, elles s’imposent à chacun sans discrimination de sexe.

On voit donc une inégalité insidieuse se nourrir de l’égalité : la femme doit travailler, mais le travail domestique n’étant pas l’objet d’une mise en valeur, il n’est pas objet de convoitise et le statu quo est prolongé. Le drame des femmes est donc de devoir à la fois participer de la valeur centrale d’autonomie et de travail (mais cela pour des raisons purement vitales : il faut bien vivre ; ce qui explique du reste que le problème soit bien moins aiguë dans la Très Haute Bourgeoisie parisienne puisque les grandes bourgeoises n’ont pas ces problèmes purement monétaires) tout en ayant conservé leurs attributions ménagères, qui n’ont pas été l’objet du grand travail philosophique et politique qui a touché l’égalité et l’individualisme. En somme, on oublie parfois que l’égalité a des conditions de possibilité : on ne peut pas demander aux femmes d’être ambitieuse si l’ambition ne peut pas concerner la vie domestique parce qu’alors on chargera davantage les femmes (la double journée de travail). Très bien il faut travailler, mais il faut aussi s’occuper des enfants et faire le ménage, il faut bien que quelqu’un le fasse. Inciter les hommes à le faire est intéressant, mais vous ne pouvez pas changer les répartitions des tâches ménagères si vous ne les valorisez pas. Et on touche là à un paradoxe : notre société en valorisant l’autonomie et le travail CREE de l’inégalité homme-femme. Et en poussant les femmes au travail on lutte bien sûr contre les inégalités, mais il n’est pas certain que l’on agisse beaucoup sur le fond du problème. Il y a donc un problème plus large : on considère que l’inégalité est quelque chose à résorber alors que notre type de société provoque l’inégalité. On va alors instaurer une politique de quota qui ne résout rien sur le fond, qui ne fait que de l’égalité inégalitaire (une femme médecin fera tout aussi bien les tâches ménagères).

Cela signifie aussi que c’est la façon même dont est structuré la société qui produit des structures inégalitaires. Plutôt donc que de lutter en surface (ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas lutter contre les inégalités hommes-femmes) il faudrait bien davantage se demander qu’est-ce que c’est que cette société qui produit de l’exclusion et de la frustration. Quoiqu’on pourrait sans doute s’appliquer à changer les mentalités, c’est sans doute un endroit où l’action politique n’a que peu de prise, et ceci parce que les individus ne sont pas des éponges. Une vraie politique égalitaire serait donc une politique qui laisserait la possibilité aux femmes de participer à la compétition générale mais aussi aux hommes de rester au foyer. Cela signifie aussi qu’on ne peut sans doute pas dissocier les problématiques d’égalité homme-femme d’une réflexion sur les valeurs centrales dans notre société : à l’heure où le travail est rare et difficile, sa valorisation unilatérale produit des déçus.

PS : l’explicitation du rapport des sexes par la domination masculine me semble relever du même type de questionnement. Il ne peut y avoir domination masculine que si les domaines où les hommes « dominent » sont plus importants pour tout le monde.